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Un Sénégalais vivant en France met en ligne ce que lui inspirent le Sénégal, l'Afrique, la France et le monde d'aujourd'hui. Ces pages se veulent aussi un lieu d'information sur tout ce qui touche de près ou de loin l'Afrique et les Africains. En bien. En moins bien !

Soyez les bienvenus dans cet espace d'échanges libres que j'espère bénéfiques pour le Sénégal et l'Afrique toute entière. Merci d'avance de votre participation.
Bonne lecture !

 

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9 septembre 2005 5 09 /09 /septembre /2005 23:00

Cet article est une contribution de monsieur R.L. Alissoutin.

Monsieur le Président de la République ,

Nous venons partager avec vous l’amertume du constat de la destruction du mythe du service public et de la profanation des institutions qui en ont la charge. Pour rester positif malgré le deuil, il importe d’exhumer les racines profondes de cette morbidité institutionnelle et de les soumettre à une autopsie sans complaisance pour jeter les bases d’un service public nouveau, libéré des tentations partisanes et arrimé à une dynamique ferme de rationalité, d’éthique et de résultat.

Certes, tout n’est pas négatif. D’admirables citoyens, hommes et femmes, soucieux de tendre une main digne et méritante au trésor public à l’échéance salariale, s’arrachent au sommeil très tôt le matin, bravent les affres du transport urbain ou de la canicule rurale, pour servir l’Etat en âme et conscience. Des chefs de service s’engagent à combattre la gangrène laxiste et népotiste dans l’action publique, même si certains de leurs agents, accrochés à la culture du repos, tentent de les éliminer en déposant sur leur fauteuil un œuf mystique ou en aspergeant leur bureau d’une eau maléfique. De valeureux fonctionnaires, bien qu’ayant été admis à la retraite, continuent à fréquenter gracieusement les lieux du sacerdoce, happés par l’amour du service et le désir de rester utile à la nation.

Mais, fondamentalement, l’action administrative est dégradée par la légèreté, l’amateurisme et l’indiscipline. Le phénomène est grave car le service public est la raison d’être de l’Etat qui ne dispose de pouvoir que pour l’assurer au mieux. Quelles en sont les manifestations et les causes ? Quels pourraient en être les remèdes ?

Dans les gouvernements d’hier et d’aujourd’hui, certains ministres ne se sont jamais exprimés sur le fond des dossiers dont ils ont la charge. Ils ne s’adressent au public que pour chanter les louanges de l’autorité qui les nomme. Du sommet à la base, l’action publique est travestie par des comportements manifestement partisans qui désacralisent la neutralité de l’Etat et provoquent la rupture de l’égalité de traitement entre les citoyens.

Comment ne pas évoquer le cas sinistre du bateau le Joola, preuve lancinante de la nonchalance, de l’inconscience et de l’impunité dans le service public ? Alors que le drame résulte d’une chaîne de négligences criminelles, pas un seul des responsables parfaitement identifiés n’est passé devant le juge. Le service public de la justice a ainsi fait naufrage dans le bateau avec près de deux mille de nos concitoyens. Dans l’affaire dite des Chantiers de Thiès, la curieuse coïncidence entre le discours gouvernemental et les décisions du juge suscite encore des suspicions sur la neutralité de notre justice.

Les retards désinvoltes et l’absentéisme délibéré sont des entraves courantes au principe de la continuité du service public. La journée continue, quoique pertinente dans le principe, a conduit au désordre et au laxisme. Des agents désertent le service à la pause, laissant leur veste sur leur siège pour faire croire à une courte absence, mais ne reviennent que le lendemain. A Dakar, la pluie matinale est utilisée comme prétexte pour ne pas se rendre au service alors qu’elle n’empêche que très rarement la circulation des véhicules.

Dans les hôpitaux, une conscience professionnelle comateuse offre des spectacles horribles. Des cadavres sont transportés avec désinvolture dans les rues des hôpitaux sur des civières moyenâgeuses aux roulettes bruyantes… Des malades agonisants sont interdits d’accès sous prétexte d’un manque de place. Malgré la présence terrible d’un tueur à grande échelle comme le choléra, le personnel médical va en grève. Les revendications sont peut-être légitimes, mais les méthodes sont meurtrières.

Dans nos villes, la défaillance des services de police administrative a conduit à l’anarchie. Les grands carrefours sont bondés de mendiants et de filous, petits et grands ; on s’installe en ville dans des baraques y compris dans les quartiers résidentiels ; on dresse un étalage de pacotilles sans autorisation sur tout espace libre ; on bouche les voies d’évacuation des eaux pluviales par des habitations sauvages, parfois curieusement autorisées ; on laisse circuler et divaguer des bœufs en pleine ville ; on traverse l’autoroute à pied de jour comme de nuit…

En milieu rural, le service public est moribond voire nul. Bien qu’elles soient présidées par une autorité judiciaire, les audiences foraines sont la foire de l’illégalité. On y «renaît» allègrement pour s’inscrire à l’école ou jouer au football à l’étranger ; on y devient «orphelin» pour obtenir une bourse ou un secours... Les morts sont enterrés hâtivement et parfois clandestinement, sans autorisation.

Sous un autre registre, les marchés de travaux, de prestation de services et de fournitures sont conclus dans un mépris constant des règles les plus élémentaires de gestion publique avec un népotisme libéralisé par l’absence de contrôle-sanction. Les commissions chargées d’octroyer les marchés ne sont pas toujours un exemple de probité. Les opérations d’exécution du contrat administratif se déroulent sans qu’aucune règle de transparence ne permette de comparer, en temps réel, les moyens octroyés au coût exact des dépenses effectuées.

 Les causes de cette déliquescence du service public devraient être recherchées d’abord dans les recrutements de complaisance. Des agents, recrutés en nombre pléthorique sur la base de la camaraderie et de la parenté, occupent inutilement l’espace des bureaux, y entretiennent des discussions privées insipides, offrant une image négative du service. Accablés par «Le pénible fardeau de n’avoir rien à faire[1]», ils se laissent tenter par le bavardage, le syndicalisme tapageur et l’activité partisane dans le service. Les recrutements népotistes introduisent des biais affectifs dans l’exercice du pouvoir hiérarchique. En effet, le chef de service hésite à sanctionner un agent fautif qui se trouve être un proche et parfois un supérieur dans l’ordre familial, ethnique ou religieux. Ce refus de sanctionner affaiblit la règle et encourage la permissivité.

A cela, il faut ajouter les défaillances du système éducatif. L’école sénégalaise forme des savants et des techniciens, mais pas des citoyens. L’éducation nationale est régulièrement meurtrie par des grèves aux revendications sempiternelles. La revendication syndicale est légitime mais elle ne doit jamais primer sur la noblesse de la fonction enseignante. Ce sont ces élèves et étudiants aux diplômes étriqués par des programmes inachevés en raison de débrayages cycliques qui occupent par la suite des postes dans l’administration. Plus qu’une question de savoir et de savoir-faire, le service public est d’abord un état d’esprit. Des agents à l’expertise incontestable reproduisent dans le service les mauvaises habitudes acquises dans la jeunesse ou l’enfance, et c’est là toute la différence entre l’intellectuel et le diplômé[2].

La pauvreté est une autre pathologie révélée par l’autopsie du service public. Les traitements de la fonction publique restant pauvres à l’image de l’Etat qui les distribue, beaucoup sont tentés par la concussion, la corruption et les détournements de biens publics. La quotidienneté des besoins et le fardeau des charges familiales conduisent certains à recourir à ces pratiques illégales pour survivre.

Des initiatives curatives s’imposent. Et ça ne sera pas chose facile car les faussaires du service public sont généralement réfractaires à la critique, surtout lorsque l’émetteur «ne porte pas un nom typiquement sénégalais[3]», comme si la vérité avait une nationalité… Il est évident qu’une simple déclaration d’intention ne pourra pas enrayer des attitudes permissives qui se sont infiltrées dans notre vie professionnelle pour s’y encastrer au fil du temps.

La première mesure à prendre pour éviter de porter un nouveau deuil du service public est assurément l’application rigoureuse des sanctions prévues par les textes. Un dispositif pertinent devrait être mis en place pour sanctionner le refus de sanctionner.

Il urge également de reconstruire une cloison étanche entre la république et le parti politique. L’activité partisane doit être détachée de l’action publique et se dérouler hors du service. Le syndicalisme devrait défendre les droits des travailleurs et non servir de tremplin à des hommes politiques aux intentions inavouées. En plus des qualifications requises, l’éducation à l’éthique citoyenne devrait être la porte d’entrée dans l’administration.

La dynamique de modernisation de l’Etat devrait être renforcée. A chaque fois que cela est compatible avec l’action publique, il faut appliquer à l’administration les techniques de gestion privée qui ont fait leurs preuves en entreprise, dans l’optique de la diligence dans les prestations et de l’efficience dans l’action.

En attendant les Etats Généraux du Service Public, veillez agréer, monsieur le Président de la République , l’urgence de corriger l’état d’esprit des agents publics et, de manière générale, le comportement du sénégalais face au bien public.

Auteur : Rosnert Ludovic ALISSOUTIN

Email de l’auteur : grefroska@hotmail.com



 

 

[1] Nicolas Boileau, Epître XI, à mon jardinier.

[2] http//www.rlalissoutin.com.  

[3] Commentaires de certains lecteurs sur les articles de l’auteur.

 
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