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Un Sénégalais vivant en France met en ligne ce que lui inspirent le Sénégal, l'Afrique, la France et le monde d'aujourd'hui. Ces pages se veulent aussi un lieu d'information sur tout ce qui touche de près ou de loin l'Afrique et les Africains. En bien. En moins bien !

Soyez les bienvenus dans cet espace d'échanges libres que j'espère bénéfiques pour le Sénégal et l'Afrique toute entière. Merci d'avance de votre participation.
Bonne lecture !

 

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9 septembre 2005 5 09 /09 /septembre /2005 23:00

Cet article est une contribution de monsieur R. L. Alissoutin.

Si l’Homme pouvait disposer d’une machine à remonter le temps, il n’aurait aucune difficulté à vaincre la mort… Malheureusement, le propre du temps c’est son mouvement définitif vers l’avant : le temps passe toujours, il ne s’arrête point, il ne recule jamais. Au Sénégal et en Afrique noire, on ne semble pas avoir compris que si l’écoulement du temps est fatal en soi, la trajectoire du futur est parfaitement maîtrisable. Cheikh Yérim Seck constate que : «Ayant toujours du mal à entrer dans une culture de la production, l’Afrique n’attache aucune valeur au temps…. Des comportements irrationnels, laxistes et amateuristes sont justifiés par une référence à ce qu’il est convenu d’appeler l’heure africaine. Ce qui doit être fait à 10 heures en temps réel, va être fait à midi, heure africaine. En d’autres termes, les africains ont choisi d’être les plus grands retardataires de l’humanité et de rester éternellement à la traîne[1]». La défunte compagnie Air Afrique avait fini par prendre l’éloquente appellation : «Air peut-être»… Vieux Savané admet, malgré lui, qu’«une conception élastique du temps a forcément des conséquences sur le rendement[2]».

«Le refus de la tyrannie du temps» n’est peut-être pas totalement blâmable. Anne Cécile Robert défend que «refuser la cadence ou la dictature du temps ne signifie pas refuser de travailler ou l’incapacité de travailler sérieusement ou avec dévouement. Cela signifie que l’acte de travail s’inscrit dans un rapport à la vie et à la sociabilité différent[3]». Elle est donc loin de partager le constat paradoxal de Cheikh Yérim Seck selon lequel : «Les africains sont, sur la planète, les plus pauvres, les moins développés et plus réticents au travail[4]».

La postérité se prépare, l’avenir se construit, le futur s’invente. Le destin n’existe que lorsque toutes les voies de recours humainement possibles ont été épuisées ; le cas de force majeur ne peut être légitimement invoqué que lorsque l’événement incriminé est anormal, imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté de l’acteur. Le recours abusif à la sorcellerie et au fétichisme est un aveu d’impuissance face à la contingence présumée du futur. Il est révélateur d’une incapacité à mettre la raison et l’action au service d’un objectif rationnel et d’une tendance aléatoire et laxiste à obtenir un résultat voulu sans endurer les sacrifices correspondants.

La nonchalance de l’Africain face à l’épreuve et à l’urgence est-elle une forme de résilience[5] ou une marque de résignation ? Le fatalisme suffit-il à expliquer la léthargie de la culture africaine, «sa passivité, son manque d’ardeur à aller à la rencontre des autres cultures avant que ces dernières ne s’imposent à elle et ne l’écrasent, son incapacité, une fois le mal fait, à évoluer à leur contact sans tomber dans un mimétisme abject[6]».

Cette attitude irrationnelle de l’africain face au temps et au futur mérite d’être diagnostiquée dans une optique curative.

La gestion optimale du temps, loin d’être une question de capacité ou de niveau d’instruction, relève d’abord de la culture individuelle et collective. Tout est lenteur en Afrique : la démarche, les salutations, la cuisson, le langage, etc. Et l’on persiste dans l’inertie et l’insouciance «comme si l’espoir du bonheur à venir l’emportait sur les enseignements de l’histoire[7]». C’est cet espoir et cette attente pieuse de lendemains meilleurs qui poussent certains à faire un nombre élevé d’enfants alors qu’ils n’ont même pas les moyens de se nourrir eux-mêmes.

L’environnement et les conditions d’existence constituent aussi un facteur déterminant. La misère et la précarité réduisent les âmes à la recherche du minimum quotidien : il faut survivre aujourd’hui ; pour demain, on verra. La terrible pression des besoins vitaux finit d’ailleurs par grignoter la rationalité et imposer la formule : «Agir d’abord, réfléchir après». Dans ces conditions, la spéculation sur les futurs possibles s’égare dans les réalités de la débrouille quotidienne. Certains putschistes arrivent au pouvoir par l’épée, sachant parfaitement qu’ils risquent, eux aussi, de périr par l’épée. Mais pour eux, la question de leur propre sécurité est une question future, l’essentiel est d’accéder aux délices du pouvoir dans l’immédiat, pour s’extirper d’une pauvreté acquise depuis la naissance. Le dirigeant africain est très peu favorable à des investissements à long terme. Il préfère les actions tapageuses susceptibles de donner des fruits immédiats auxquels il va lui-même goûter.

Au Sénégal, suite aux fortes pluies qui ont suscité des inondations dans certains quartiers de la capitale notamment, on parle de report des élections législatives de 2006 pour le financement d’urgence des secours aux sinistrés. Les quantités de pluies recueillies sont certes inhabituelles, mais elles ne sont ni inédites, ni excessives[8] outre mesure. Les causes véritables des inondations sont à rechercher dans la vétusté et la faiblesse des systèmes d’évacuation des eaux de pluie, l’imprévoyance des services chargés de l’assainissement, la construction de cités ou de bâtiments clandestins dans des zones de captage et d’accumulation d’eau, dans des bas fonds et des marigots temporairement asséchés. Ces causes sont sciemment ignorées au profit d’opérations ostentatoires de recasement. La prospective est donc sacrifiée sous l’égide d’options purement conjoncturelles. On reste confiné à l’immédiateté au lieu de s’ouvrir à une gestion anticipative et prévisionnelle. Qu’adviendra-t-il des élections combinées de 2007, si de nouvelles inondations arrivaient en 2006 ?

Dans le cas sinistre du bateau le Joola, la déroute des services responsables à l’annonce de la catastrophe montre bien qu’aucun plan d’urgence véritable n’avait été conçu par anticipation, alors que le bateau, régulièrement surchargé et manifestement déséquilibré, portait, depuis sa mise en circulation, les germes du drame. En Gambie, pays au large duquel le bateau a chaviré avec des corps retrouvés ça et là sur la plage, le ferry continue à faire la navette sur le Fleuve sans distribution de gilets de sauvetage aux passagers…

Le Sénégal est l’un des pays d’Afrique les plus prolixes en matière de planification. La plupart des secteurs de la vie économique et sociale (santé, population, éducation, environnement, jeunesse, etc.) ont fait l’objet de documents de planification et de stratégie. Mais peu d’efforts sont consentis dans la mise en œuvre et le suivi de ces plans. Les séminaires d’évaluation et de capitalisation dans ce domaine sont généralement taillés sur la mesure d’un projet vorace de détournement d’une partie du budget affecté à l’organisation de la manifestation.

Il est évident que vouloir changer radicalement une attitude devenue habitude, un mode de vie devenu culturel, est une entreprise aussi prétentieuse que vaine. Mais dans l’intérêt du rattrapage du retard économique et social de l’Afrique, le rapport de l’homme au temps ainsi que sa vision du futur gagneraient à s’insérer dans le cadre d’une culture du résultat efficient. Les défis urgents du développement doivent être relevés avec diligence afin que le capital temps épargné soit réinvesti dans d’autres combats.

Les différents plans de développement pilotés par l’Etat devraient être conçus dans une mouvance réellement participative afin que les populations bénéficiaires se les approprient et s’investissent activement dans leur mise en œuvre. Les opérations d’exécution des contrats administratifs, des missions de service public, des plans de développement, des budgets  régulièrement adoptés par l’autorité compétente, devraient être astreintes à des délais rigoureux sanctionnés par des pénalités de retard à l’encontre des responsables.  Cela suppose que pour chaque tache prévue, un responsable soit désigné avec précision et pertinence.

La gestion du temps n’est généralement enseignée que dans les écoles de management, comme si elle n’était qu’une exigence économique. La rationalisation du rapport de l’homme au temps est une condition du progrès. Elle intéresse donc tous les aspects de l’existence et mérite d’être érigée en préoccupation fondamentale dans les stratégies d’éducation populaire. Au vieux proverbe «Time is money», on pourrait ajouter «Time is life»…

Auteur : Rosnert Ludovic ALISSOUTIN

Email de l’auteur : grefroska@hotmail.com

Blog de l’auteur : http//www.rlalissoutin.com


 

[1] Cheikh Yérim Seck, Afrique, le spectre de l’échec, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 273.

[2] Vieux Savané, Suprême supercherie, Sud Quotidien, Dakar, 26 avril 2003.

[3] Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’occident, Paris, Editions de l’Atelier, 2004, p 103.

[4] Cheikh Yérim Seck, op.cit., p. 274.

[5] Selon le Petit Larousse (2005), aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit des circonstances traumatiques.

[6] Daniel Etounga Manguelle, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ? ; Paris, Editions Nouvelles du Sud, 1989, p. 21.

[7] Gilbert Rist, Développement, Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Politiques, 1996, cité par Grain de Sel n° 7, octobre 1997, p. 7.

[8] La base prévisionnelle aurait dû être le maximum de quantités de pluies déjà recueillies sur le territoire national. Or, les quantités recueillies à Dakar sont largement en deçà de celles de la ville de Kaolack située à moins de 150 km à vol d’oiseau.

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